Ajouté le 20 janv. 2023
Depuis fort longtemps je suis intéressé par les maquettes, les miniatures, ce qu'on peut en faire quand on les met en scène. La rétrospective de James Casebere à la House der Kunst de Munich en 2016 m'a particulièrement intéressé, tout comme les maquettes de Chris Burden exposées au MAC de Marseille et les photographies des mises en scène de Gilbert Garcin, de Joan Fontcuberta. Ces petits mondes, où l'artiste contrôle tout, voit tout, englobe tout, font écho à mon intérêt pour la cartographie, une réduction du monde pour les voyageurs immobiles. Depuis quelques temps, accumulant des livres sur la thématique des îles, je voulais créer des images de lieux utopiques où l'architecture, le patrimoine, seraient engloutis par la végétation. Étant limité par mes capacités techniques en infographie je ne franchissais pas le Rubicon.
En septembre 2021, un déclic se produit. En utilisant les matériaux de construction dont je disposais, un peu de plâtre, de polystyrène extrudé et mon téléphone portable, j'ai créé une ébauche qui m'a touché et qui faisait illusion. Quelque chose est remonté à la surface, des images venant du tréfonds de mon enfance, mes premières photographies prises à l'âge de 10 ans avec un appareil soviétique, des clichés de maquettes d'avion, de miniatures, de petites cabanes en roseau... Mais quelque chose d'autre arrivait, le monde aquatique, l'eau. “La mer était là-bas derrière dans le réservoir de ma mémoire” comme écrivait John Fante. Ces îles détachées et séparées du reste du monde, se situant dans une géographie à la fois réelle et fictionnelle, ces lieux propices à la reconstruction, m'offrent maintenant une nouvelle forme d’évasion, entre réalité et invention. Tout se met en place dans cette recherche pour me ravir car soudain mes amours pour le voyage, le patrimoine, la géographie, le bassin méditerranéen et la couleur, s'unissent en des images réalistes, plausibles.
Fort de cette expérience, j' utilise des moyens très simples pour simuler la mer sur un support plan, pour évoquer des îles en trois dimensions. Je prends l'ensemble en photo avec un grand angle et une vue en contre-plongée, tout en prenant le ciel comme toile de fond. Je tente de construire de toute pièce des paysages que je mets en scène avec un éclairage naturel, mon jardin devient mon atelier, celui que j'attendais depuis 20 ans.
J'ai choisi le format carré pour me démarquer de la photographie de paysage. Je comble les vides, densifie l'image, tout en ayant en tête la composition de mes collages abstraits de même format et la promiscuité des corps dans mes peintures de grand format des années 2000. L'image doit être réaliste pour que le simulacre fonctionne et en même temps elle doit se distinguer des représentations des merveilles de la nature. Pour ce faire je parie sur la couleur, et j'utilise l'architecture, l'artificiel, l'artifice de la maquette. Mes photos sont réalistes mais pas véristes, on hésite et c'est ce qui me plaît, c'est assumé.
Ces hétérotopies, terme créé par Michel Foucault pour désigner des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire, synthétisent mes aspirations et me permettent de créer de manière ludique et intense.
“Une île est potentiellement assez petite pour récréer un idéal. Elle est potentiellement assez recluse pour être protégée des intrusions de la modernité… Le concept d’île se déconnecte fréquemment de la définition d’une île réelle, pour désigner un ailleurs imaginé… De telles îles doivent être recherchées sur la carte de l’imagination en perpétuelle invention. Elles sont propices à la quête de perfection et rendent possible le désir de créer un espace imaginable.”
Il est rare d'avoir des images de paysage marin vu d'un bateau, ou plutôt d'un bathyscaphe, c'est ce que permet la magie de l'image, telle que je la construis. A gauche les rochers se jettent à pic dans les flots, tout comme à droite. A l'arrière plan, encadré par ces deux amas minéraux, trône une île imposante surmontée d'une étrange forme. Impossible de savoir si l'espèce humaine est à l'origine de ces faces nettes et verticales. A y regarder de plus prêt, on distingue des formes architecturales sur les falaises comme si cela était les restes d'une civilisation perdue. L'image est un peu éthérée, comme dans un rêve, la mer est si calme, luxueuse, voluptueuse. La ligne horizontale nous apaise immédiatement, la profondeur, l'infini, nous aident à nous échapper vers d'autres mondes. Ajoutons ici les commentaires d'Emmanuel Jaccaud, grand voyageur : « ces maquettes mêlant l'imaginaire à des fragments de réalité sont venus illustrer les textes des frères Tharaud, amoureux sincères de la méditerranée. La méditerranée est une île et c'est une pensée poétique qui fortifie l'imaginaire... Le va et vient de la mer qui vient mourir sans cesse au pied de ces falaises où se discernent des enceintes rouges avec leur vieil appareil guerrier, leurs tours, leurs redans. Vénitiens, arabes, byzantins ou normands ? Cette mémoire et ces traces marquent l'histoire tragique de cet espace réel. Cette île abrupte en lieu et place de pierreries comme une artillerie volcanique prête à l'emploi, faut-il vraiment y accoster même si le ciel bleu s'y prête ? Peu importe, la suggestion est là. »
Véritable espace des possibles l'île imaginaire est un espace où se projette notre imaginaire, tout comme une personne qui nous tourne le dos pour contempler un paysage incarne tous les regardeurs et par extension nous même, l'île imaginée incarne tous les lieux où l'homme peut trouver refuge pour fuir notre monde en déroute.
Gaspard de Gouges 25/09/2022