Ajouté le 15 janv. 2023
" Ce qui ne saute pas aux yeux à première vue des séries photographiques de Gaspard de Gouges c’est que l’artiste a fabriqué ces images une à une au sens littéral du terme.
Artiste-artisan, il procède à l’ancienne brouillant les pistes pour mieux vous entraîner dans une nouvelle épopée dans laquelle vous serez le héros.
Son protocole de création photographique s’inscrit dans les pas d’illustres prédécesseurs tels que Georges MELIES - premier bricoleur de génie des effets spéciaux dans l’histoire du cinéma.
Ici pas de logiciel de montage ni d’effets spéciaux numériques mais des bricolages photographiques géniaux à partir de maquettes construites minutieusement sur un coin de table de son atelier. Ici la mer est en papier cellophane recouvrant une surface peinte.
Les minuscules pierres et morceaux de ferrailles rouillés ramassés au bord de l’eau se transforment en immenses rochers et totems inquiétants par un effet de perspective lors de la prise de vue. Rochers cailloux. Comme une idée de dégradation de la roche. Déliquescence. Décor et lumière du déclin.
Le « bleu du ciel » est quant à lui le reflet de la météo qu’il faisait le jour de la prise de vue restitué tel quel par un effet de miroir disposé derrière sa maquette.
L’usage du miroir dans le procédé de création de l’artiste n’est pas anodin. Son reflet évoque la nature éphémère de l’existence humaine et du monde « d’ici-bas ». Il est un effet de réel dans les paradis artificiels que l’artiste fabrique de toutes pièces. Des paradis articiels qui nous proposent un univers vivifiant de doute et d’incertitude pour lutter contre l’inéluctabilité des choses dans un monde où domine l’artefact numérique.
Le miroir de Gaspard de Gouges doit son statut imaginaire à la relation privilégiée qu’il entretient avec les rives de la Méditerranée et ses mythologies. Il bricole un appareillage « magique » qui fait dialoguer une scénographie miniature avec un bout de ciel bleu « pris sur le vif » et nous offre la possibilité de nous embarquer, tel Ulysse, dans ses aventures imaginaires qu’il nous fait miroiter.
L’esprit de l’artiste s’apparente à un miroir qui opère comme un passage du visible vers l’invisible. Rendre l’invisible visible à travers la réalité et chercher le pont qui les unit ; telle est sa quête !
Gaspard de Gouges nous invite à déambuler dans des paysages littoraux qui évoquent des sensations, des visions voisines d’un état psychédélique. Paysages du futur apocalyptiques dans lesquels les icebergs auraient tous fondus et toutes formes du vivant disparues. Vision téléologique, eschatologique du monde. La fin des temps ?
Ici le paysage donne à penser et la pensée se déploie comme un paysage.
Il est pensé comme une rencontre, transformant dans un même mouvement à la fois l’être et le monde. Il y a résonance entre les deux, subjective et matérielle, qui prend place à travers l’action et la performance paysagère. Un positionnement sur le mouvement, sur l’entre-deux qui permet de donner sa place à l’affect dans la caractérisation des lieux et de réfléchir à la manière dont l’intime et le sensible contribuent à une éthique paysagère.
Ce travail propose de redéfinir le paysage littoral, non comme un objet esthétique, non plus comme une zone environnementale, mais comme une relation affective, performative et éthique au monde.
Je me suis exercé, comme Artur DANTO nous le préconisait et au-delà de mon rapport sensible à l’œuvre en construction(s), à déceler son « à propos de ».
J’ai donc regardé attentivement et noté quelques mots qui émergeaient : miroir, roches, paysage, artefact, Ulysse, Paradis artificiels… J’ai essayé de comprendre ce que l’artiste proposait et j’ai tenté par les mots de restituer comment l’œuvre s’adresse à son spectacteur.
Je vous invite à prendre le temps de poser votre regard sur ces montages photographiques et laisser libre cours à votre pensée ; ce qui vous allez découvrir va vous enchanter ! "
Patric CLANET, le 28 septembre 2022
Patric Clanet
Directeur artistique de Vannes Photos Festival, commissaire d’exposition indépendant, ex-directeur de l’Ecole Européenne Supérieure de l’image et exdirecteur adjoint de l’Ecole Nationale Supérieure de la Photographie d’Arles il a également œuvré à la direction d’Instituts culturels et Alliances françaises àl’étranger sous tutelle du Ministère des Affaires Etrangères (Colombie, Pérou et Mexique). Il est titulaire d’un Master en Gestion d’entreprise culturelle, d’un Master recherche sur « La photographie contemporaine latino-américaine » et poursuit ses recherches doctorales au sein du Laboratoire d’Esthétique et Science des Artsde l’Université d’Aix en Provence. Il s’intéresse tout particulièrement aux interpénétrations existantes entre la photographie et l’art contemporain.